Monday, September 28, 2009

L’Ile Ville

L’Ile Ville ou les effluves enchanteresses des cités enfouies


A Ebène, l’île Maurice du 21e siècle a déjà pris forme. Au delà de la vitrine que constitue la Cyber Cité, ses petites tours lumineuses, ses bretelles et ses rocades éclairées, son hôtel d’affaires brillamment fréquenté dès que la nuit tombe, Ebène c’est un peu le way forward métropolitain. En fermant les yeux (sauf si l’on est au volant!), on s’y croirait presque...
Du côté de Riche-Terre, l’on n’y est pas encore mais la ville nouvelle de Jinfei promet Rs 25 milliards d’investissement et la création d’un resort a Baie du Tombeau, jadis lieu de villégiature tombé en désuétude et qui ne demande qu’à renaître de ses cendres. Plus loin, dans l’espace et dans le temps, il y aura aussi Highlands, face à Ebène. Le tout sera relié par des ring roads et autres dream bridges.
Longtemps agricole et campagnarde, l’île Maurice est en train de changer de visage, à l’aube du 21e siècle. Les années 10 marqueront la fin d’une époque et le début d’une nouvelle ère, pour la clé de la Mer des Indes, perle de l’Océan Indien, celle de l’Ile-Ville. C’est l’appel de la modernité qui souffle comme une brise de mer transportant les effluves enchanteresses de cités enfouies sous les décombres de civilisations disparues. Pourquoi ne pas y répondre?
C’est une option et nous avons toutes les raisons de la prendre parce qu’elle nous ouvre les portes de la nouveauté. Cependant, un choix métaphysique – nourri d’idées et de principes issus de notre intelligence pure, nous permettant d’établir une unité entre l'être et l'essence des choses - s’impose à nous, avant même que nous ayons à tenir compte de considérations sociales, urbaines ou environnementales. Avec un oeil rivé sur le rétroviseur de l’Histoire et l’autre scrutant l’horizon nous devons nous poser la question suivante: que voulons nous comme avenir? Pour y répondre tâchons d’être inspirés et lucides.

En 1735, Mahé de La Bourdonnais donnait les premiers coups de pioche. Un peu plus tard, des voyageurs faisant halte à un relai de diligence des Plaines-Wilhems pour curer leurs pipes, contemplaient la vue qui s’offrait à eux, depuis la chaîne de Moka, jusqu’à la Mer des Indes. Avaient-ils prévu qu’une “Ville Lumière” serait érigée à cet endroit, quelques décennies plus tard?…
L’île a depuis longtemps été déflorée et je le dis tout net: nul besoin de la ranger dans la catégorie des vierges effarouchées... Depuis les débuts de l’occupation humaine, les Mauriciens n’ont jamais cessé de couper, de trancher dans le paysage. Comme tous les peuples du monde les Mauriciens ont modelé leur environnement immédiat, en fonction des besoins socio-économiques du moment. Ils ont aménagé des domaines, des jardins, des champs de canne à sucre, enlevant ébéniers et palmiers pour les remplacer par des casuarinas et d’autres espèces exotiques. Des options furent prises, des choix furent faits, suivant un contexte donné. Y en avait-il d’autres, a-t-on eu tort? Fallait-il abandoner l’île et la rendre aux dodos?
Ce n’est pas ce qui fut fait...

Nous avons l’île que nous méritons, elle s’étale tous les jours devant nos yeux. Aujourd’hui, il n’y a pas lieu de regretter quoi que ce soit mais, bien au contraire, de donner à l’oeuvre humaine, vieille de quatre siècles, toute sa dimension en gommant les erreurs et en rajoutant au tableau les détails qui en feront une oeuvre d’art. Inutile de faire un dessin. Les visiteurs qui nous arrivent chaque jour par milliers pour toucher du gros orteil le sable blond du paradis ne cessent de nous le répéter: on est bien au paradis!
Or nous, Mauriciens, ne rêvons que de ce que nous n’avons pas chez nous, du moins pas encore. Nos regards sont perdus ailleurs… Allez, avouons le, pour nous Mauriciens, le paradis n’aurait-il pas plutôt des allures de Champs Elysées, de Piccadilly Circus? Avec le soleil qui se couche dans un souffle de petite brise tropicale?...

A Port-Louis, le front de mer est la tête de pont du rêve de l’Ile Ville. Le 21e siècle y est dèjà en embuscade, bel exemple de ce que l’on peut faire de neuf et de brillant dans un vieil espace usé qui n’avait plus rien à voir avec les images qui enchantèrent Charles Baudelaire. Le beau a retrouvé sa place, même si elle n’est pas naturelle, dans un espace entièrement reconstruit. J’ai une envie folle et pressante de voir ce rêve s’accorder en genre et en nombre, se prolonger tout au long de l’autoroute M1 avec sur son parcours des “Ebène” qui s’égrènent comme un chapelet et se matérialiser en une arabesque urbaine, serpentant d’un bout à l’autre de l’île, dont la tête et la queue serait deux autres fronts de mer, à Mahébourg et Grand-Baie.

La ville n’est pas vile. Elle est peut être propre et durable, humble et économe

Avec ses 2 000 km2, l’île est trois fois plus grande que Singapour et ses 650 km2, disposant d’un ensemble plus cohérent que les Seychelles et leurs 450 km2 d’îlots éparpillés. La proposition est claire: il s’agit de bâtir à partir du bâti, de partir des zones urbaines vers l’extérieur, ceinturant la nature sans l’envahir, depuis le grand nord ses resorts et ses gros bourgs, le nord-est/nord-ouest, le centre et ses villes, centre-est/centre ouest jusqu’au littoral, le sud et ses villages, le sud-est et ses resorts, avec Port-Louis et sa grande périphérie comme boucle, point de départ et d’arrivée. La ceinture urbaine aurait alors toute sa cohérence.
Toute île doit s’aérer, toute ville doit respirer. L’île-ville conservera ses espaces naturels, qui, à défaut d’être vierges, sont des sanctuaires. Essentiels à son équilibre. Sa ceinture verte. Ce sont nos parcs, nos forêts, nos sommets, nos lacs. De Magenta à Chamouny en passant par Le Morne et Grand-Bassin, la ceinture sud-ouest est la plus large. Au sud-est, les Montagnes Bambous et l’espace allant de Ferney à Piton du Milieu en passant par Riche-en-Eau et au centre, depuis Camp Thorel jusqu’à La Nicolière en passant pas Montagne Longue et Nouvelle Découverte, sont les autres poumons de cet ensemble naturel. Les îlots comme l’île Ronde et l’île aux Aigrettes où le principe de conservation naturelle a vu le jour à Maurice, complètent le tableau.
L’Ile-Ville devra aussi identifier des activités industrieuses - et non pas industrielles - ingénieuses et efficaces comme le travail de l’abeille qui lui permettent d’être en accord avec tout ce qui est en train de se mettre en place dans le monde à l’aube du 21e siècle. Ces activités sont encore balbutiantes chez nous.
Que ferait-on des domaines que l’on a qualifié un peu rapidement d’ “intégrés” ? Ils ne sont pas une référence dans la mesure où ils sont des poches d’occupation, d’aménagement – quoiqu’admirables aux plans architectural, paysagiste – mais trop éloignés du principe de base énoncé plus haut: bâtir en partant du bâti, des zones déjà urbanisées, jusqu’à la limite à ne pas franchir, celle de la ceinture verte de façon à et ne pas investir la nature là où elle est la plus exhubérante et fragile.
L’empreinte que l’homme laisse sur la nature doit être uniquement son habitat - ou tout autre espace dédié à cette fonction et à ses corollaires – qui répond aux différents critères du beau.
Ici il convient d’être clair: rien ne pourra se faire si les règles élémentaires de santé, de salubrité, d’équilibre, ne sont pas respectées.

L’autre soir, je suis passé par Ebène et en voyant les petites tours lumineuses, les bretelles et les rocades éclairées, l’hôtel d’affaires qui bourdonne des sons de la nite life, bref de toutes sortes de promesses métropolitaines, j’ai été envahi par un sentiment d’excitation que j’ai voulu partager et qui m’a poussé à écrire tout ce qui précède.
Maintenant, toute la question est de savoir ce que nous voulons, ce que nous sommes prêts à faire. Moi, j’ai déjà ma réponse à la question. Et vous? Quelle est votre vision, votre part d’acceptation du projet d’île-ville?
Lorsque nous aurons tous répondu, de façon unanime à toutes ces questions et seulement à ce moment là, alors nous pourrons nous atteler à la tache. Elle est titanesque et occupera plusieurs générations de Mauriciens durant les 100 prochaines années.