Tuesday, February 23, 2010

La faim justifie-t-elle les moyens ?

La grève de la faim est un moyen de pression démocratique. Elle s’avère souvent très efficace et présente l’avantage d’être pacifique. Dans l’histoire moderne, elle a maintes fois été utilisée, à juste titre ou pas et n’a toujours connu d’heureux dénouements. A Maurice, elle est devenu ces jours-ci une sorte de mode d’expression de l’opprobre populaire.
Appelée également jeûne politique, la grève de la faim serait une invention du Mahatma Gandhi. Le mot jeûne politique est effectivement plus approprié puisque cette manifestation contre l’ordre établi est avant tout dirigée contre le pouvoir ou le gouvernement du jour sur lequel il s’agit de faire pression afin de la faire plier, reculer ou changer de décision.
En 1905, les suffragettes anglaises, incarcérées pour avoir revendiqué le droit de vote pour les femmes, avaient fait la grève de la faim dans les prisons. Plus récemment, le jeûne politique a aussi été utilisé par des réfugiés pour forcer l'obtention d'un permis de séjour ou par des groupes désireux d'assurer une couverture médiatique à leurs idées. Il s'agit également d'une pratique en prison, pour protester contre les conditions de détention.
Un épisode très dur du jeûne politique a eu lieu dans la lutte opposant les prisonniers irlandais de l'IRA au gouvernement de Margaret Thatcher, en 1981. Il a abouti à la mort de dix personnes, le plus célèbre étant Bobby Sands, décédé après 66 jours de grève de la faim. Il réclamait le statut de prisonnier politique. L’annonce de sa mort provoqua de nombreuses émeutes dans les quartiers nationalistes irlandais et une manifestation de 100 000 personnes.
Pendant toute cette affaire, le gouvernement de Mme Thatcher avait conservé la plus grande fermeté. « Nous ne sommes pas prêts à accorder un statut spécial catégoriel pour certains groupes de gens accomplissant des peines à raison de leurs crimes. Un crime est un crime et seulement un crime, ce n'est pas politique (…) M. Sands était un criminel condamné. Il a fait le choix de s'ôter la vie. C'est un choix que l'organisation à laquelle il appartenait ne laisse pas à beaucoup de ses victimes », avait déclaré la Dame de Fer en réaction à l’action du militant irlandais.
Maurice a elle aussi un historique du jeûne politique, toujours très médiatisé et suscitant émoi et mobilisation. Depuis les membres du MMM, dans les années 70, en passant par les Chagossiens, jusqu’aux action d’Harish Boodhoo et plus récemment de Jayena Chellum de Mario Darga et des planteurs de Riche-Terre. Certains de ces cas sont désespérés et attirent la sympathie de l’opinion publique. Mais une intransigeance comme celle qui animait la Dame de Fer par rapport aux demandes des nationalistes irlandais est impossible chez nous, pas même imaginable.
D’abord, parce a grève de la faim a un impact tout particulier à Maurice, pays hautement religieux. Le jeûne est une pratique courante chez les catholiques où il est considéré comme un facteur de purification qui aide à rencontrer Dieu. Dans l’islam, le jeûne a aussi une signification large, pendant le mois de ramadan principalement, et à d'autres dates également, ainsi qu'en tout temps, il sert à développer la spiritualité. Enfin, le jeûne a un rôle important et purificateur dans la religion hindoue.
Ensuite, et surtout, parce que notre pays est tout simplement un haut lieu de la démocratie. Notre tradition démocratique est probablement tout aussi forte que nos traditions elles-mêmes.

Dans les cas les plus récents de jeûne politique, il est difficile de juger parce que l’émotion a pris rapidement le dessus sur la raison. Ils sont un exemple de la démocratie poussée à l’extrême. Lorsqu’une solution est trouvée, elle vient surtout alléger le fardeau humanitaire et sortir tout le monde, grévistes, pouvoir et observateurs, de l’impasse. Lorsque le pouvoir cède, il agit conformément aux principes démocratiques ou suivant des considérations humanitaires. Qui peut se dire satisfait, celui qui obtient gain de cause ou celui qui donne la solution ? Une telle sentence ne peut en aucun cas être délivrée par le tribunal populaire, trop aveuglé par des conditions d’ordre émotionnel.

La grève de la faim est, enfin, une mise en scène qui fait les choux gras de la presse. Sans les medias, un jeûne politique n’a aucun effet puisqu’il souvent un acte isolé. Dans le cas de Bobby Sands, les medias britanniques en avaient fait un feuilleton à rebondissement plus qu’une question de fond.

Une telle faim de démocratie ne justifie pas toujours les moyens employés pour se faire entendre et faire plier le pouvoir. Elle est à mettre au registre des effets pervers de la démocratie. Un jeûne politique est un affrontement politique osé, risqué qui joue sur les fibres émotionnelles d’une opinion publique souvent aveuglée par la misère d’une humanité mise à mal.

Le Royaume Uni, berceau des libertés individuelles et inventeur de la grande charte des libertés qui, il y a 800 ans déjà, définissait les libertés constitutionnelles et limitait le pouvoir absolu des rois, est un modèle de démocratie à l’occidentale. Il choisit pourtant de résister en 1981, il est vrai sous la poigne de fer de Mme Thatcher, aux émotions, sûr de son droit de faire prévaloir la raison. Maurice, haut lieu de la démocratie, suivra-t-elle la même voie ?